|  
              
                
				  Commémorer Maître 
				  Mokudo Taisen Deshimaru 
                 
			  Shikantaza - Mushotoku - Hishiryo 
			  En considérant l’histoire du zen, cinq 
			  maîtres importants apparaissent, qui créèrent les conditions de 
			  l’évolution du zazen, méditation bouddhiste dans une partie de ce 
			  qui est aujourd’hui l’Inde, vers une pratique qui existe désormais 
			  dans la plupart des régions du monde. 
			  - Bodhidharma qui fut à l’origine de la 
			  transmission de l’Inde à la Chine de la pratique de l’assise face 
			  au mur, 
			  - Eihei Dogen qui rapporta shikantaza, 
			  mushotoku et hishiryo de la Chine au Japon, 
			  - Taisen Deshimaru qui répandit la pratique 
			  de zazen en Europe, 
			  - Shunryu Suzuki et Taizan Maezumi qui 
			  firent de même aux États-Unis. 
			  Mais ces maîtres n’ont créé que les 
			  conditions favorables. La diffusion ne se serait pas produite sans 
			  une pratique continue pendant des siècles et des enseignements qui 
			  ont touché les pratiquants. 
			  Quelles conditions créerons-nous 
			  aujourd’hui pour que se poursuive le développement du zen en 
			  Europe?  Pour répondre à cette question, je pense qu’il est 
			  important d’examiner plus en détail ce qu’enseignait Maître 
			  Deshimaru. 
			  L’enseignement de base de Maître Deshimaru 
			  portait sur zazen. Il a enseigné zazen à des européens qui 
			  n’étaient ni moines, ni nonnes, mais des personnes vivant dans la 
			  société civile. Sachant qu’au Japon, la pratique du zazen a 
			  presque disparu en raison de l’importance écrasante des cérémonies 
			  dans les monastères, Maître Deshimaru a réduit les cérémonies au 
			  minimum et n’a pas fondé de monastère, contrairement à Dogen, 
			  Suzuki et Maezumi. Il a choisi de construire, avec ses disciples, 
			  La Gendronnière, un lieu de pratique temporaire pour des centaines 
			  de pratiquant(e)s venus de toute l’Europe. 
			  Dans un moment où les tendances 
			  nationalistes se développent dans le continent européen, 
			  l’existence d’une sangha internationale est un héritage plus 
			  important que jamais. La tendance monastique et japonisante de la 
			  pratique à La Gendronnière est une dérive déplorable de la vision 
			  initiale de Maître Deshimaru qui met également en danger 
			  l’existence continue d’une sangha internationale dont la 
			  principale raison d’être est la pratique partagée de zazen, et non 
			  la participation à des rituels sophistiqués réalisés par moines et 
			  des nonnes qui en ont fait leur spécialité. 
			  L’idéal du bodhisattva est indissociable de 
			  la pratique de zazen:  nous pratiquons non pour atteindre 
			  nous-mêmes à la perfection, bien que ce soit un effet secondaire 
			  appréciable. En réalité, notre pratique s’inscrit dans une vision 
			  beaucoup plus vaste, qu’expriment les vœux du bodhisattva. La vie 
			  d’un bodhisattva est basée sur la profonde compréhension que nous 
			  n’avons pas d’existence séparée des autres, et que nous ne cessons 
			  de nous transformer au sein d’un tissu de relations lui-même en 
			  constante évolution. En parlant de la « cérémonie du bodhisattva » 
			  au lieu d’utiliser le terme japonais de jukai, Maître Deshimaru a 
			  clairement mis l’accent sur cet idéal du bodhisattva, en 
			  souhaitant que les Quatre Vœux, le Sutra du Cœur et une dédicace 
			  soient les seuls textes récités régulièrement après les zazen du 
			  matin et du soir. Les préceptes transmis et reçus lors de la 
			  cérémonie du bodhisattva sont des directives concrètes sur la 
			  façon de réaliser les vœux dans l’instant présent. 
			  A un moment où l’égoïsme et le matérialisme 
			  risquent de détruire non seulement les sociétés humaines, mais 
			  mettent en danger toute vie sur notre planète, le fait d’agir 
			  comme un bodhisattva revêt une importance capitale. La cérémonie 
			  du bodhisattva donne à chaque pratiquant ou chaque pratiquante la 
			  possibilité de s’engager publiquement dans cette manière d’agir. 
			  Le Ryatsu fusatsu mensuel nous offre la possibilité de renouveler 
			  cet engagement. 
			  Zazen est une pratique spirituelle, pas un 
			  moyen de réduire le stress et de vivre de manière plus 
			  décontractée, même si cela peut constituer un autre effet 
			  secondaire hautement appréciable de la pratique de zazen. La 
			  dimension spirituelle de zazen apparait clairement lorsqu’on revêt 
			  le kesa à 5, 7 ou 9 bandes. La transmission du kesa et 
			  l’enseignement de la façon de le coudre, sont de grands mérites de 
			  Maître Deshimaru. 
			  Dans un moment où disparaît la quête 
			  spirituelle dans les sociétés industrialisées et 
			  post-industrialisées, le port de kesa est un signe visible 
			  important d’une dimension qui transcende les limites de nos 
			  personnalités individuelles. 
			  Les éléments fondamentaux de l’héritage que 
			  nous a tranmis Maître Deshimaru sont, à mes yeux: la pratique de 
			  zazen dans une sangha non monastique et multinationale, l’idéal du 
			  bodhisattva et le kesa. Nous devons protéger cet héritage dans 
			  notre pratique individuelle et dans notre pratique au sein de la 
			  sangha. Si l’un de ces éléments vient à disparaître, notre 
			  pratique risque de perdre, au moins partiellement, son effet 
			  libérateur. 
			  Mais perpétuer l’enseignement de Maître 
			  Deshimaru ne suffit pas, nous devons préparer les conditions de 
			  nouveaux développements. 
			  Soyons réalistes: la pratique et 
			  l’enseignement de zazen n’ont aucun impact visible dans aucune des 
			  sociétés d’aujourd’hui. Si nous voulons que cet écho se répande, 
			  des étapes supplémentaires sont nécessaires. 
			  Le plus important me semble être la 
			  certification de bien plus (!) de femmes en qualité de maîtres. 
			  L’enseignement du dharma restera incomplet tant que la réalité 
			  n’est visible qu’à travers les yeux masculins et que les 
			  expériences féminines ne sont pas intégrées. 
			  A la mort du Maître Deshimaru, les 
			  disciples qui sont devenus ses successeurs avaient tous la 
			  trentaine ou la quarantaine. A présent, la certification d’une 
			  nouvelle génération d’enseignant(e)s de ce groupe d’âge est 
			  nécessaire: sans confiance dans la jeune génération, dans sa 
			  capacité à pratiquer et à enseigner, le zen en Europe risque la 
			  sclérose et la mort. 
			  En pratiquant zazen, nous étudions avec et 
			  à travers notre corps. Mais à un moment où coexistent différentes 
			  approches du bouddhisme, il est important que les enseignants 
			  aient une bonne connaissance du bouddhisme et pour ceux et celles 
			  qui enseigneront le zen, du bouddhisme zen en particulier. Les 
			  humains sont des êtres capables de poser des questions. Si les 
			  enseignants du Zen ne sont pas en mesure d’y répondre en 
			  s’appuyant sur le dharma, les futurs pratiquants se tourneront 
			  vers les écoles et les enseignants bouddhistes en mesure de leur 
			  apporter des réponses. Par conséquent, nous devons être en mesure 
			  de proposer des études qualifiées sur différents sujets. 
			  Il est fondamental pour une sangha 
			  multinationale, de s’unir non seulement dans le silence de zazen 
			  mais aussi dans la pratique partagée des cérémonies. La lingua 
			  franca pour les textes récités lors des cérémonies doit être le 
			  sino-japonais. Mais pour que les textes traditionnels touchent 
			  vraiment les cœurs et les esprits de tous ceux et celles qui 
			  pratiquent, il est important de créer des traductions pouvant être 
			  récitées et ceci dans chaque langue au niveau local et national. 
			  La solidarité et l’engagement envers la 
			  justice sociale à tous les niveaux de la société et dans les 
			  relations internationales me semblent une conséquence de l’idéal 
			  du bodhisattva et de la pratique des préceptes. La sangha devrait 
			  soutenir les activités existantes et créer, si nécessaire, ses 
			  propres actions afin de réaliser une société plus juste, sans 
			  perdre de vue la concentration sur ce qui reste son socle: zazen. 
			  Maître Deshimaru a enseigné Shikantaza, 
			  Mushotoku et Hishiryo. Il a mis toute son énergie dans la pratique 
			  de zazen et a jeté les bases du développement du zen en Europe, 
			  sans pour autant s’attacher au succès de sa mission. Ne pas être 
			  attaché nous permet de rester ouvert à ce qui se produit à un 
			  moment donné et de travailler avec cela. Nous pourrions avoir des 
			  idées sur ce qui serait utile pour le développement ultérieur du 
			  zen en Europe, et nous pouvons essayer de créer les conditions 
			  propices à ces futurs développements, mais n’oublions jamais 
			  shikantaza, mushotoku et hishiryo! 
			  
  
			   |